Pour marquer l'anniversaire de la naissance de Gabriel MAIRE, né le 1er août 1936 à Port-Lesney, voici une longue page écrite en janvier 2018 par le père Bernard COLOMBE, prêtre fidei donum avec Gabriel à Vitória. Il nous montre comment son confrère était engagé dans la nouvelle évangélisation, priorité de l'Eglise Catholique depuis le pontificat de Jean-Paul II.
L’Eglise universelle s’engage vers une nouvelle évangélisation
Dix ans avant l'assassinat du père Gabriel MAIRE, le 23 décembre 1989, l'Eglise universelle était entrée par la voix de Jean Paul II dans la nouvelle évangélisation. C'était exactement le 9 juin 1979, en Pologne. Cette expression a été reprise par lui 250 fois ! Le pape Benoit XVI l'utilisera assez souvent, par exemple lorsqu'il promulgua une année de la foi du 11 octobre 2011 au 24 novembre 2012 en vue d'un « engagement ecclésial plus convaincu en faveur d'une nouvelle évangélisation ».
Gaby, Martyr de la libération
Les témoignages écrits et oraux de Dom Silvestre Scandian, archevêque de Vitoria, Espirito Santo, Brésil, puis de son successeur Dom Luiz Mancilha, comme d'une multitude de laïcs et de religieux brésiliens, font un écho clair et direct à ces paroles de Benoit XVI. Ils peignent le portrait d'un prêtre engagé dans son Eglise d'adoption, au titre de Fidei donum de 1980 à sa mort. Un livre édité au Brésil pour les 25 ans de son assassinat en est un témoin essentiel : -Padre Gabriel Prefiro morrer pela vida a viver pela morte (pas encore traduit en français). 134 pages de témoignages recueillis dès 1990, par un groupe d'amis.
Zé Vicente, compositeur que Gabriel avait fait venir du Nordeste à Porto de Santana, écrit ainsi :
Jusqu'à quand annoncer la libération sera-t-il une raison de mourir assassiné ? Triste société qui ne supporte pas la moindre dose d'amour envers ses opprimés ! Pauvre démocratie commandée par des criminels, sinistres messieurs habillés d'impunité et de propagande !
Et Sr Terezinha :
Père Gabriel, merci d'avoir collaboré à mon processus de formation, comme Missionnaire de Jésus crucifié ! Merci, car vous m'avez aidé à découvrir l'eucharistie comme une révolution dans ma vie. Vous êtes vivant dans le cœur de celles et ceux qui vous ont connu. Pour votre engagement auprès des privilégiés de Jésus, vous êtes devenus martyr de la libération, pour la plus grande gloire de Dieu.
Nous pouvons citer ici une partie de l'homélie de Dom Silvestre pour le 1er anniversaire de la mort du Père Maire :
Notre compagnon et frère sur le chemin parcouru ensemble a laissé une phrase prophétique qui s'est dressée comme un drapeau de convocation afin de ne pas nous décourager et continuer la lutte : je préfère mourir pour la vie que de vivre pour la mort. Cette phrase a été une devise, un idéal de vie, inspirée des paroles du Maître dont nous commémorons la naissance : Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir et donner ma vie pour la libération de beaucoup. (In : Serenidade em meio a altas ondas - biographie de Dom Silvestre, éditée au Brésil).
Et puis 27 ans plus tard, Dom Luiz Mancilha qui n'avait pas connu Gabriel écrivait à l'évêque de St Claude, Mgr Jordy :
Dans ma visite pastorale à la paroisse St François à Porto de Santana, j'ai entendu de fidèles chrétiens des beaux commentaires au sujet du Père Gabriel Maire comme un homme de Dieu. Son témoignage fort et la clarté de ses paroles et de ses attitudes ont résonné dans le cœur de plusieurs prêtres de ce diocèse. 27.09.17
Quelques jours plus tard, après l'annonce de la prescription du procès le 18 octobre, Dom Luiz signe un communiqué à la presse qui se termine ainsi :
Le Père Gabriel est certainement un des martyrs de l'Eglise en ces temps de tant d'injustice et de manque d'éthique.
Prêtre Fidei Donum à Vitória
Gabriel Maire avait répondu à la demande de Dom João Batista e Dom Luiz Fernandes de venir travailler dans ce grand diocèse où étaient déjà passés 4 prêtres français. Deux d'entre eux avaient pourtant déjà été menacés de mort en 1987, à Linhares. Son ministère sacerdotal aura été essentiellement paroissial et d'accompagnement de la pastorale ouvrière diocésaine. Sa volonté de rester au milieu du peuple qui lui avait été confié, au moment où des menaces de mort se précisaient sur sa personne, reste le signe le plus parlant de l'adhésion de Gabriel Maire à ce projet missionnaire universel, concrétisé sur un point limité de l'immense Brésil. Par sa mort, il rejoignait les dizaines de personnes assassinées pour leur résistance à l'oppression, dont plusieurs au nom de leur foi et de leur ministère, appelées spontanément par le peuple croyant : les martyrs du chemin fait ensemble.
Grand désir de vivre au diapason du monde
Ces 9 années au Brésil faisaient suite à une présence originale et résolument missionnaire dans le diocèse de St Claude, Jura, dans la diversité des ministères reçus. Grand désir de vivre au diapason du monde, aux côtés de tout homme de bonne volonté, comme « citoyen du monde », et déjà, comme séminariste, présence précieuse pour ses camarades pendant la guerre d'Algérie. Le 24 octobre 1977, il concluait dans La Croix jurassienne la riche interview qu'il avait donnée à propos de « prêtre et politique » :
« Je souhaite qu'on s'habitue à connaître les options de chaque prêtre sans croire qu'il veuille imposer ses idées. C'est l'apprentissage de la liberté dans l'Eglise, donc une franche diversité. Je souhaite que les communautés chrétiennes, prêtres et laïcs ensemble, deviennent plus prophétiques, en actes, pour que la Parole devienne plus crédible. (in Un prêtre... Karthala p 17-21.)
Evangélisation du monde moderne
Il était nourri de la réflexion et des décisions des Pères du Concile Vatican II et quelques années plus tard de l'Exhortation apostolique de Paul VI Evangelii nuntiandi de 1975 sur l’évangélisation du monde moderne. La même année le Conseil permanent de l'épiscopat français publiait : Libérations des hommes et salut en Jésus Christ, où on pouvait lire :
Nous ne serons pas fidèles à l'unité et à l'unicité du dessein de Dieu, à l'unité de la vocation de la personne humaine et de l'humanité, si nous ne prenons pas une part active aux actions et aux combats de libération humaine. C'est au cœur du monde qu'il s'agit d'annoncer aux pauvres la Bonne Nouvelle, aux opprimés la libération, aux affligés la joie.
Le choix prioritaire des pauvres
A son arrivée dans le diocèse de Vitoria, il s'est intégré dans une Eglise locale largement organisée en Communautés ecclésiales de base (CEB) par l'archevêque Dom Joao da Motta et son auxiliaire Dom Luis Fernandes. Un grand enthousiasme parcourait les paroissiens heureux de participer à la mission dans les périphéries et les campagnes. Gabriel Maire ne faisait pas partie des résistants à ce renouveau ecclésial promu par la Conférence des évêques du Brésil (CNBB). Au contraire, il apportait toute sa fougue et ses compétences à ce vaste chantier. Le choix prioritaire des pauvres assumé par le CELAM (Conseil épiscopal d'Amérique latine) dès 1968 était devenu le sien.
Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile !
Pour ses 25 ans de presbytérat, Gabriel Maire avait célébré une messe en plein air. Sur un calicot en arrière de l'autel, il y avait la phrase de st Paul citée par Jean Paul II pour faire entrer dans le grand Jubilé de l'an 2000 :
Nous devons raviver en nous le sentiment enflammé de Paul qui s'exclamait : Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile ! 1 Co 9, 16. Cette passion ne manquera pas de susciter dans l'Eglise un nouvel esprit missionnaire, qui ne saurait être réservé à un groupe de spécialistes, mais qui devra engager la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu.
Engager la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu, a été la priorité de Gabriel Maire en lien avec l'Eglise de Vitoria, attaché qu'il était à donner à ses membres jusque là passifs, se jugeant incapables, l'expérience d'assumer progressivement leur vocation de laïcs à part entière.
Transformation de la société comme signe de la réalisation du Royaume
Ses lettres à sa famille et à ses amis français appelées par lui Echos de Vitoria ont été éditées en 2014 sous le titre Gabriel Maire Un prêtre français assassiné au Brésil 1936-1989, chez Karthala.
Il a été traduit en portugais par des amis et édité depuis. Au long des presque 300 pages, on peut suivre l'évolution de ses convictions et de ses pratiques, ses joies et ses souffrances et ainsi accompagner la mise en œuvre de cette évangélisation renouvelée dans les paroisses de Cariacica et de Viana. Mise en œuvre « nouvelle en son ardeur, dans ses méthodes, et dans ses expressions », selon Veritatis splendor du 6 août 1993, déjà bien pratiqué en particulier dans de larges secteurs de l'Amérique latine. On peut aussi se reporter aux Options et directives pastorales de l'Eglise de Vitoria, éditées en 1987 chez Paulinas, où l'on parle entre autres priorités de collaborer davantage dans la transformation de la société comme signe de la réalisation du Royaume cf. p 48 et 49.
Conversion individuelle et pastorale
Quand on entend aujourd'hui, 28 ans après la mort de ce missionnaire français, les laïcs commenter, en se souvenant de paroles et de gestes concrets, la manière dont leur curé leur permettait de donner le meilleur d'eux-mêmes, à partir d'une connaissance de l'Evangile, ou mieux d'une expérience d'Evangile, on se réjouit que la nouvelle évangélisation avait été prise très au sérieux.
L'objectif général de l'action de l'Eglise au Brésil commençait d'ailleurs son intitulé par : Evangéliser. C'était un processus de conversion individuelle et pastorale auquel le Père Maire avait joyeusement adhéré.
Le coté infatigable de sa vie ministérielle, les méthodes de participation appliquées à toutes les décisions pastorales et missionnaires, les expressions liturgiques dans les petites chapelles en planche ou en dur, les grands temps forts de l'année, avec leurs neuvaines, processions, en particulier au sanctuaire marial de Nossa Senhora da Penha, théâtres, formation biblique, chants, rédaction de psaumes etc... comme sa présence courageuse dans les conflits de la terre urbaine, le soutien des femmes menacées dans leur intégrité corporelle, l'appui aux balbutiements de la démocratie, le renforcement de la pratique syndicale, après 20 ans de dictature, bref une lutte contre les « structures de péché » comme l'avait remarqué Jean Paul II, voilà bien quelques exemples faciles à retrouver et avec force détails dans sa correspondance qui confirment un choix missionnaire résolu.
Formation des prêtres et des laïcs
Les prêtres étaient vus aussi par le pape de l'époque comme des acteurs privilégiés, à condition, écrivait-il dans un texte de 1993, qu'ils aient une formation initiale et continue, une connaissance intime de la Parole de Dieu, une sainteté de vie, un nouveau style de vie pastorale, une collaboration avec les laïcs et une profonde communion avec le Pape et les évêques. La résidence provisoire e Gabriel au séminaire diocésain a permis un beau témoignage sur ce point.
Les laïcs, eux, selon Christifideles laici, 1988, étaient encouragés : ils ont leur rôle à jouer dans la formation de la communauté ecclésiale, non seulement par une participation active et responsable à la vie communautaire, mais aussi par l'élan et l'action missionnaire en direction de ceux qui n'ont pas encore la foi ou qui ne vivent pas selon la foi reçue au baptême. Les lettres lues dans les Echos de Vitoria tout autant que les témoignages recueillis après la mort du Père Gabriel Maire rassemblent un grand nombre de réalisations dans ce sens.
Les temps de retraite spirituelle, parfois loin de Vitoria du côté d'Alagoinhas (BA) dans la communauté de Taizé ou bien à Crateus dans le Piaui, montrent bien son souci du ressourcement pour un engagement aussi fort dans l'évangélisation. Les prédications au cours des nombreuses messes du dimanche dans 3 ou 4 communautés, étaient de riches moments d'approfondissement de l'Evangile, tout comme les enseignements donnés par exemple aux charismatiques de la paroisse de Campo Grande.
La théologie de la libération
L'Instruction sur Liberté chrétienne et libération, du 22 mars 1986, rédigée par le Cardinal Ratzinger et approuvée par Jean Paul II, faisait suite au premier document de septembre 1984 intitulé Quelques aspects de la théologie de la libération. Les dates situent ces deux documents en plein dans le ministère du Père Maire. L'Eglise de Vitoria a bien sûr fait des études sur les remarques et recommandations romaines, qui mettaient beaucoup de réserves sur le type d'engagement qu'elle vivait, en lien avec beaucoup d'autres au Brésil et en Amérique latine. Et cependant on trouvera dans le 2ème document la reconnaissance de cette manière de rendre présent l'évangile auprès des pauvres. Citons n° 57 :
Une foule de chrétiens, depuis le temps des apôtres, ont engagé leurs forces et leur vie pour la libération de toute forme d'oppression et pour la promotion de la dignité humaine. L'expérience des saints et l'exemple de tant d’œuvres au service du prochain constituent un stimulant et une lumière en vue des initiatives libératrices qui s'imposent aujourd'hui.
Le 100ème et dernier paragraphe commence ainsi :
Il est vrai que devant l'ampleur et la complexité de la tâche, qui peut requérir le don de soi jusqu'à l’héroïsme, beaucoup sont tentés par le découragement, par le scepticisme ou par l'aventure désespérée.
Ses amis savent que Gabriel Maire a eu des moments de découragement, mais pas de scepticisme et moins encore de tentation d'aventure désespérée, ce qui dans le langage ecclésiastique de cette Instruction désigne la guérilla.
Bâtir une civilisation de l’amour
Bâtir une civilisation de l’amour (expression de Paul VI) au sein d'un Brésil fortement inégalitaire, dans la rudesse de la vie des classes populaires, avec leurs souffrances, leurs blessures et leurs espoirs, dans les déceptions surmontées lorsque les puissants impriment leurs pensées par la télévision dans des foyers où tout manque, évoquées ainsi par Dom Silvestre :
Je pense surtout aux élites économiques et politiques de notre pays, je pense aux banquiers et aux grands propriétaires, nos grands politiques et entrepreneurs... eux tous, sauf de rares et louables exceptions, tournent le dos au futur, sentant l'odeur de la fumée de l'incendie qui se développe dans les maisons voisines tout en fermant les yeux sur le danger qui frappe leur propre maison... et donc je préfère mourir pour la vie à vivre en causant la mort des autres. (dans l’homélie de Dom Silvestre du 1er anniversaire)
Oui bâtir une civilisation de l'amour, telle est la relecture que l'on peut faire de la vie de ce prêtre diocésain français, le Père Gabriel, Roger, Félix Maire, comme il était connu officiellement au Brésil et plus encore comme Padre Gabriel, comme en témoignent des signes durables : un quartier de Cariacica, une place, un buste sur une place publique et une école pour handicapés mentaux qu'il avait aidée à construire, sans compter les brésiliens qui ont reçu Gabriel comme nom de baptême !
Note : outre les documents cités dans cet article, en français ou en portugais, un petit livre m'a aidé dans les dates et les citations : La nouvelle évangélisation de Jean Paul II à Benoît XVI, de Jean Philibert, aux éditions des Béatitudes 2012 112 pages
Bernard Colombe - Janvier 2018
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