Copie d'un texte qui a été rédigé à la suite d'un entretien de Gaby Maire avec Louis de Courcy, journaliste à « la Croix jurassienne », en vue de passer dans les pages de cet hebdomadaire comme interview, en novembre ou décembre 1977
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LE PRETRE ET LA POLITIQUE
J'ai 41 ans. Je suis prêtre depuis 1963 : en paroisse de ville, aumônier de classes techniques de lycée et de C.E.T., aumônier de J.O.C.F., animateur d'une communauté de chrétiens de la cité Chabot, quartier H.L.M. De St-Claude. Dans ce qu'on ne considère pas habituellement comme des fonctions de prêtre : participation à l'animation culturelle de la cité Chabot, et secrétaie général du Mouvement Populaire des Citoyens du Monde (M.P.C.D.M.).
Les idées politiques exprimées dans ma famille lorsque j'étais enfant ne sont pas mes idées politiques actuelles. Malgré cela, j'ai pour mon père(décédé) une grande affection et beaucoup d'admiration : le fait d'aimer des personnes aux idées politiques différentes, mais dont on admire la droiture et l'honnêteté, cela m'a appris à rejeter le SECTARISME. Si « tout est politique » , la politique n'est pourtant pas le TOUT DE LA VIE. En plus de la passion de mon père pour la politique, j'ai été marqué, au petit séminaire, par des professeurs qui nous ont appris à être attentifs à la vie et nous ont fait part de leurs rencontres avec la J.O.C. des années 50, avec l'esprit de Mounier, avec « Témoignage Chrétien ».
Quelques événements marquants : -service militaire de 28 mois, dont la moitié en Algérie -Mai 68- rencontre de non violents-long mûrissement(des années) avant de décider de renvoyer mon livret militaire- rencontre avec des »citoyens du monde » par le courrier des lecteurs d'un journal.
Un milieu familial ouvert au sens du service et des responsabilités ; des chrétiens soucieux d'être dans l'Eglise la voix de ceux qui ne s'y expriment pas, de ceux qui la regardent du dehors, et des plus pauvres ; tels séminaristes rencontrés à l'armée ; un ministère auprès des jeunes et des adultes en monde ouvrier : voilà ce qui m'a, lentement mais sûrement, ouvert à la dimension politique de la foi et de mon sacerdoce.
Question : « Le fait de « choisir » de façon concrète, dans le domaine politique, vous permet-il de remplir votre rôle de prêtre ? «
-Une précision : je n'ai jamais été inscrit dans un parti politique. Malgré mes préférences, je ne me sens LIE A AUCUN. D'autre part, vous dites : « remplir votre rôle de prêtre » qu'entendez-vous par là ? Il n'y a pas un seul type de prêtre. Il y a autant de manières d'être prêtre qu'il y a de prêtres !
Ce qui compte, c'est d'annoncer Jésus-Christ. Cette annonce se fait à des gens bien concrets : on ne peut annoncer l'Evangile sans tenir compte de la situation des gens ni des conséquences du regard chrétien sur les réalités sociales et politiques. Un prêtre neutre, pour moi ça n'existe pas. Faut-il faire semblant de ne pas avoir d'idées politiques ? Cacher ce que l'on pense, cela me semble être hypocrite. En mai 68, des prêtres se disaient »neutres ». En fait, ceux qui étaient hostiles aux événements ont considéré ces prêtres comme étant des leurs ; et ceux qui « vivaient les événements » classaient ces prêtres comme défenseurs de l'ordre établi. Pour ma part, je n'ai jamais regretté que l'on sache ce que je pensais à cette époque : c'est à partir de ce moment là que j'ai pu discuter EN VERITE avec des personnes qui ne partageaient pas mes convictions. Il y a partout des gens prêts à vous faire le plus de mal possible en vous collant n'importe quelle étiquette sur le dos, mais partout aussi des gens ouverts au dialogue. Est-ce que ça ne devrait pas être vrai de tous ceux qui se disent chrétiens ? C'est le pluralisme....
Question : « Justement, le « PLURALISME » est devenu un terme officiel dans l'Eglise. Ce terme peut-il vous suffire ? »
J'accepte le terme, à condition qu'on le purifie d'une ambiguité fréquente. S'il s'agit de dire aux chrétiens : « chacun a ses idées, mais n'en parlons pas, aimons-nous bien, prions sans faire allusion à tout ça.... » etc... c'est la pire des choses, et à la limite, trahison de l'Evangile : l'EVANGILE EST VERITE, COURAGE. En aucun cas le Christ n'est l'homme du compromis ambigu.
Par contre, si des chrétiens, TOUS SOUCIEUX DE SE LAISSER REMETTRE EN CAUSE PAR L'EVANGILE, ont néanmoins des options politiques différentes, c'est normal. S'ils acceptent de se renconter ( voire de s'affronter) , de parler ensemble, de prier ensemble, et sans dissimuler les points de divergences, ce pluralisme est bénéfique. Hélas ! À cause de certaines raisons historiques, on a encore du mal à admettre chez les chrétiens que tous ne pensent pas exactement de la même manière. Alors, on cherche à édulcorer l'Evangile pour éviter les affrontements entre chrétiens. Cela ne colle pas du tout avec la mission qui nous est confiée, et c'est en contradiction avec l'attitude des premiers chrétiens, comme avec celle des prophètes et de tant de saints à travers les siècles. SI ON N'OSE PAS SE DIRE LA VERITE FRANCHEMENT, C'EST QU'ON NE S'AIME PAS ASSEZ ! Apprenons à connaître les autres(or, la connaissance des idées politiques fait partie de la connaissance de quelqu'un, y compris d'un prêtre). Mgr Etchegaray a dit, je crois, qu'il fallait dans l'Eglise une « parole crue et drue ». Cela vaut à tous les niveaux. Un scandale, c'est que les chrétiens discutaillent de toutes sortes de détails, mais TRES RAREMENT DU FOND DE L'EVANGILE, dès lors qu'ils savent qu'ils ne vivent pas exactement de la même manière dans le concret.
Question : « l'Evangile peut-il être une option politique ? »
Evidemment, NON, C'est en réfléchissant, selon ce qu'il est, selon son histoire, homme parmi les autres, que le chrétien choisit l'option politique qui lui paraît le mieux à même de servir et de défendre ceux qu'il veut servir et défendre. MAIS L'EVANGILE POSE DES QUESTIONS et peut faire remettre en cause ce qui paraissait évidence. Le chrétien peut-il accepter que le profit passe avant l'homme ? Le sort des plus pauvres ( dans tous les sens du mot), pauvres de chez nous, pauvres du Tiers-Monde, peut-il avoir une place autre que la première dans les préoccupations politiques d'un chrétien ? Accepter la fabrication et la vente d'armes capables de détruire les populations civiles par millions de personnes, est-ce conciliable avec le restpect de la vie si fortement affirmé par le Christ ?
Cela dit, aucune option politique ne coïncidera jamais parfaitement avec l'Evangile : un chrétien aura toujours à contester, au nom du regard « autre » que lui donne sa foi. Il lui faut pourtant CHOISIR, tout en s'efforçant de rester UN HOMME LIBRE : choisir ce qui respecte le mieux chaque personne. Ce n'est pas simple. S'il refuse le matérialisme marxiste, le chrétien constate aussi que le matérialisme pratique dans lequel nous baignons en occident ne favorise guère(c'est le moins que l'on puisse dire) la soif de Dieu, ni le sens de la fraternité universelle.
Question : « Un prêtre, en tant que tel, est-il encore un homme à part, ou doit-il être » dans le monde » ?
La communauté des chrétiens n'a de sens que si elle est missionnaire : une Eglise repliée sur elle-même, préoccupée surtout par ses problèmes internes, devient sclérosée et inutile. Il arrive souvent dans les faits qu'en raison de multiples contacts, à l'occasion d'engagements comme à l'occasion d'actes d'Eglise( préparation au baptême, au mariage...) des prêtres perçoivent mieux que certains laïcs ce qu'attendent de l'Eglise des gens qui la regardent de l'extérieur. J'affirme que ce sont des liens très nombreux avec des gens (jeunes et adultes) qui ne se sentent guère – ou pas du tout- d'Eglise, qui m'obligent constamment à renouveler ma foi, à comprendre mieux ma vocation de témoin de Jésus-Christ. Je me sens obligé de me faire, au sein de l'Eglise, l'écho de ce que ressentent ces personnes rencontrées au dehors.
Question : « Vis à vis de l'autorité de l'Eglise ( Obéissance, vertu d'Eglise), cela ne pose-t-il pas de problèmes à un prêtre comme vous ? »
On n'a jamais essayé de forcer ma liberté. Dire que je me sente toujours compris, c'est autre chose : peut-être parce que je ne sais pas me faire comprendre, peut-être aussi parce que, malgré les déclarations officielles, un vrai pluralisme n'est pas encore vécu dans l'Eglise. La souffrance la plus grande provient de ces incompréhensions, de la part de chrétiens, voire de prêtres. On voudrait me faire passer pour sectaire, alors que je crois que la tolérance est une vertu essentielle (d'autant qu'elle se fait rare). Je suis passionné dans ce que je fais, et cela peut choquer : pourtant je pense que celui qui CROIT ne peut pas vivre autrement qu'avec passion (« Je vomis les tièdes », dit Jésus). Etre LIBRE, vouloir le rester, quoiqu'il en coûte, cela fait courir des risques, y compris dans l'Eglise. Mais cela est fondamental. C'est pour cela que j'admire tant, par exemple, un évêque comme Dom Elder Camara : il est « inclassable », il le dit lui-même.
Par contre, j'éprouve aussi de grandes joies. Je n'ai pas l'impression de vivre deux vies séparées, celle d'un militant et celle d'un prêtre. Ma présence dans des organisations culturelles à Saint-Claude (Amicale de Quartier), ou d'ordre politique ( secrétaire du Mouvement populaire des Citoyens du Monde) me fait vivre prêtre en partageant ce que ressentent un grand nombre de personnes. Je ne veux pas me servir de la fonction au M.P.C.D.M. pour faire du prosélytisme chrétien, pas plus que je ne veux utiliser mes activités de prêtre(catéchèse, homélie...etc...) pour faire de la publicité pour le M.P.C.D.M. -Mais il est vrai que le fait que je sois à la fois prêtre et militant d'un mouvement pose question à certains. Pour moi, c'est une bonne chose ; dans la mesure où j'essaie de rester fidèle à cette ligne de conduite : ne jamais imposer mes idées aux autres, mais aider ceux-ci à réfléchir, à devenir des hommes libres et responsables. Telle est, en conscience ma mission de prêtre. C'est aussi ce que je tente de faire au M.P.C.D.M.
EN CONCLUSION : Je souhaite qu'on s'habitue à connaître les options de chaque prêtre sans croire qu'il veut imposer ses idées. C'est l'apprentissage de la liberté dans l'Eglise, donc d'une franche diversité. Je souhaite surtout que les communautés chrétiennnes, prêtres et laïcs ensemble, deviennent plus prophétiques, en actes, pour que « La parole » devienne plus crédible.
Saint-Claude le 24 octobre 1977
GABRIEL MAIRE