Il y a 20 ans, une trentaine de Français se rendaient à Vitória pour le 10ème anniversaire de l'assassinat de Gabriel. Dom Helder est décédé pendant leur voyage. Ils ont pu se recueillir sur sa tombe. Voici la lettre de la paix de l'abbaye de Tournay qui nous parle de Dom Helder.
Lettre de la paix de l'abbaye de Tournay :
A tous ceux qui cherchent la paix en ce mois d’octobre 2019,
Dom Helder Camara, apôtre d’une église pauvre pour les pauvres
20ème anniversaire de son décès.
Dom Helder Camara (1909-1999) né dans une famille brésilienne de treize enfants, sera, entre 1950 et 1980, l’une des figures les plus estimées et les plus controversées de l’épiscopat brésilien. Profondément marqué par Jacques Maritain et Emmanuel Mounier, il deviendra un défenseur actif des plus pauvres et œuvrera pour eux sans relâche, puisant son inspiration spirituelle dans des groupes qui s’identifient avec l’expérience de la pauvreté, notamment les prêtres ouvriers français.
Grégory Roth le présente comme Architecte des Communautés ecclésiales de base. Connu comme le «messager de l’espoir», |…] Son engagement social a été en permanence au centre de son activité religieuse. En plus d’être responsable de la Jeunesse Ouvrière Catholique, il a fondé en 1933 le Syndicat ouvrier féminin, une entité qui a lutté pour les droits des employées domestiques et des lavandières. Durant la 2e Guerre mondiale, il a accueilli des migrants et réfugiés arrivés sur le territoire brésilien. Il est devenu évêque auxiliaire de Rio de Janeiro en 1952.
Très vite, il a incarné la résistance à la dictature militaire brésilienne qui le surnomme «l’évêque rouge» ce qui lui fit dire : « je nourris un pauvre et l’on me dit que je suis un saint. Je demande pourquoi le pauvre n’a pas de quoi se nourrir et l’on me traite de communiste !». Les militaires organisèrent une stratégie pour le mettre à l’écart : ils interdirent toutes mentions de son nom dans les journaux du pays, et exercèrent une pression sur le comité norvégien du Prix Nobel de la Paix pour supprimer sa candidature à laquelle il avait été pressenti 4 fois. En 1964, il est nommé archevêque d’Olinda et Recife dans le Nordeste, une des régions les plus pauvres du Brésil.
Frère Irénée dans son livre « correspondance avec Irène » écrit : il fut un évêque brésilien qui, pendant la dictature militaire, défendit les droits de l’homme et promut la non-violence. Il soutint les paysans et les ouvriers dans la reconnaissance de leur dignité ; il organisa un accompagnement pastoral pour les prostituées. Il justifia son refus absolu de la violence comme méthode de libération des opprimés de la terre et présenta la force libératrice de la non-violence ainsi: « Toute une vie d’effort pour comprendre et vivre l’Evangile m’amène à la conviction profonde que l’Evangile, s’il peut et s’il doit être appelé révolutionnaire, c’est dans le sens qu’il exige une conversion de chacun de nous. Nous n’avons pas le droit de nous enfermer dans l’égoïsme ; nous devons nous ouvrir et à l’amour de Dieu et à l’amour des hommes. Mais il suffit de penser aux béatitudes – quintessence du Message évangélique – pour découvrir que le choix pour les chrétiens semble clair : nous chrétiens, nous sommes du côté de la non-violence, qui n’est nullement un choix de faiblesse et de passivité. La non-violence, c’est croire, plus que dans la force des guerres, des meurtres et de la haine, dans la force de la vérité, de la justice, de l’amour. Si cela vous semble du moralisme, patientez un moment. L’option pour la non-violence, si elle s’enracine dans l’Evangile, elle se fonde aussi dans la réalité. Voulez-vous du réalisme? Alors je vous dis: si dans n’importe quel coin du monde, mais surtout dans l’Amérique latine, une explosion de violence devait éclater, vous pouvez être sûrs que, tout de suite, les Grands arriveront – même sans déclaration de guerre – les Super-Puissances seront là et nous aurons un nouveau Vietnam... Voulez-vous encore du réalisme : justement parce qu’il nous faut arriver à la révolution structurelle, il est indispensable de promouvoir d’avance, mais dans un sens nouveau, une « révolution culturelle ». Car si les mentalités n’arrivent pas à changer en profondeur, alors les réformes de structures, les réformes de base, resteront, elles, sur le papier, inefficaces. »
Dans un texte, paru au jour de sa mort, signé Marcelo Barros, moine bénédictin au Brésil publié le 3 avril 2017. « Dom Helder n'est plus. Il se peut que, au Brésil, beaucoup de la jeune génération ne l'aient même pas connu. Effectivement pendant des années, le nom et la parole de cet évêque prophète furent censurés par la dictature militaire. Peu après l'événement de "l'ouverture politique" du Brésil, Dom Helder se retira de la charge d'archevêque d'Olinda et Recife. Notre cher archevêque, qui n'a jamais accepté le titre de "Dom" en tant que symbolisant la noblesse, fut véritablement un "don" de Dieu à l'humanité. J'ai travaillé et vécu avec lui pendant douze ans[…]Avec lui, j'ai appris que le projet de Dieu est l'unité des religions et des cultures orientée vers la paix et la justice de par toute la terre. En 1970, alors que je l'aidais à se préparer pour participer au Parlement des religions pour la paix à Kyoto (Japon), je l'entendis dire : "Les religions doivent dialoguer et marcher ensemble pour être la conscience éthique de l'humanité et le cri pacifique des pauvres." Je voulus réunir groupes et personnes affamés et assoiffés de justice de par le monde entier, en leur disant que, malgré leur petit nombre et leur faiblesse, ils recèlent une grande fécondité évangélique. Dom Helder les appelait "minorités abrahamiques». Ce fut sa confiance dans la responsabilité partagée qui le conduisit à fonder la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), le Conseil épiscopal latino-américain (Celam), après avoir suggéré la création de la Sudena (Surintendance de développement du Nordeste) et bien d'autres organismes de promotion humaine.
Celui qui ne retint jamais pour lui le pouvoir vécut et mourut comme le pauvre qu'il voulut toujours être. Son désir : "Être une simple flaque d'eau reflétant le ciel." Il repose dans la petite église des Frontières, appellation symbolique de ce qu'il aurait voulu que toute l'Église fût. "Un lieu de frontières ouvert à ceux de dehors." De loin, dans les dernières années, je suivis sa campagne pour un an 2000 sans misère. En 1996, il écrivit avec l'abbé Pierre qui lui rendit visite à Recife : "Nous avons plus de 80 ans et il y a encore beaucoup de choses à faire pour remettre de l'ordre dans le monde. Avec le peu de forces qui nous restent, nous continuerons à combattre contre la misère." Dom Helder est décédé le lendemain de la marche de protestation contre le gouvernement, qui réunit des milliers et des milliers de personnes à Brasilia. Les journaux se demandent si la manifestation fut suivie par les 100 000 prévus par les mouvements populaires ou seulement par les 40 000 calculés par le gouvernement. Si Dom Helder le pouvait, il leur répéterait aujourd'hui ce qu'il proclamait il y a vingt ans et, de fait ce qui est l'unique chose qui soit importante : "Celui qui est éveillé aux injustices engendrées par la mauvaise distribution de la richesse, s'il a la grandeur d'âme, il captera les protestations silencieuses ou violentes, des pauvres. La protestation des pauvres, c'est la voix de Dieu".
Prière : Seigneur, que l'œuvre de Dom Helder Camara nous inspire ainsi qu’à de nombreuses communautés humaines de poursuivre le combat de Dom Helder contre les régimes autoritaires et en faveur des pauvres. Ainsi nous témoignerons de Ta tendresse et de Ta miséricorde envers les plus faibles, nous t'en prions. Amen !
Textes tirés : Grégory Roth Echo Magazine Suisse. 27 août 2019, fr. Irénée dans son livre « Correspondance avec Irène » 2015.
La Croix - Croire , « Dom Helder Camara, avocat des pauvres » fr. Marcelo Barros, 23.09.17.
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