Témoignage de Thomas :
il a connu Gaby à Saint-Jean à Dole
extrait du livre de Jean Dole :
Saint-Jean au cœur du Jura et de la cité doloise - 1994
Peut-on parler de l'histoire de l'église Saint-Jean et mesurer sa dimension ecclésiastique sans parler de Gaby Maire ? Il fut pendant 6 ans vicaire de la paroisse de 1963 à 1969 date à laquelle il partit sur Saint-Claude.
Il est à souligner combien il fut le moteur d'une dynamique au niveau des jeunes du quartier. Il conviendra également de mettre un accent sur la reconnaissance et le respect que lui marquaient "les petites gens" dont il était "le" prêtre ; sans que cela donne un caractère restrictif à son ouverture, car il était très ouvert et discutait avec tout le monde.
Sa manière d'entrevoir et de s'ouvrir à sa mission, le regard qu'il portait sur le rôle qu'il avait à jouer, son implication directe dans la vie du quartier faisaient de lui, un prêtre différent des autres. Il dénotait également par le contact qu'il possédait et par ce qu'il faisait passer dans toute relation individuelle avec les gens. C'était quelqu'un de franc et de direct qui ne prenait pas les sentiers de traverse pour exprimer ce qu'il avait à dire. Jamais blessant ni cassant, attentif et sensible il aimait qu'on le respecte, disons plutôt qu'on lui retourne le respect qu'il nous accordait.
Ses méthodes d'évangélisation étaient très vivantes et rattachées à notre quotidien dont il se servait pour jalonner son discours évangélique, l'ornementant d'exemples précis, vécus. Sa foi, sa croyance en Dieu étaient transparentes. Sa confiance en l'homme, ses convictions sur son devoir étaient une corde de plus à cet "arc" qui nous orientait dans la bonne direction. Ceux qui l'écoutaient, jeunes ou moins jeunes n'avaient souvent qu'un désir : "en devenir la flèche".
On sentait que pour Gaby Maire, car c'est ainsi qu'on l'appelait plus communément, cette phrase de l'évangile "Dieu a créé l'homme à son image" revêtait une importance primordiale. Cette considération rendait moins abstraite l'existence de Dieu, à nos regards d'enfants. Dieu est ce qu'il y a de bon en nous, tel était son message. L'abbé Maire nous demandait de chercher quel était notre rôle et non de jouer tel rôle. A chacun de nous restait une notion de liberté, de choix qu'il respectait. Il nous parlait de Jésus Christ en nous en racontant avant tout l'histoire d'un homme ; ce vers quoi il avait voué sa vie, ce en quoi ce "Héros" (j'écris volontairement ce mot car c'est l'image que j'en avais dans ma tête d'enfant) méritait qu'on s'y intéressât.
Gaby Maire était plus un homme de bon sens qu'un moraliste. Sa philosophie de l'existence était empreinte de valeurs morales mais toujours sous tendue par une logique, une bonté qui tombait sous le sens. Ses propositions et ses actions de charité étaient toujours orientées au profit des plus nécessiteux. Il nous apprenait à faire don d'un peu de notre temps libre, à nous priver pour en faire profiter un peu les autres. On n'était pas obligé de le faire, mais on avait envie de le faire car on sentait alors concrètement qu'on servait à quelque chose.
Se mobiliser autour d'une cause sur une action humanitaire avec Gaby Maire c'était aussi vivre en groupe avec un autre état d'esprit, d'autres valeurs que la société ne prenait pas en compte. Etre là où il y avait carence.
Durant ces quelques années, j'étais très proche de Gaby. Je participais aux offices, baptêmes, mariages, enterrements en tant qu'enfant de chœur. Il y avait entre nous une réelle complicité.
C'était un personnage captivant qui avait beaucoup d'humour. Un jour, alors que nous allions donner une messe au foyer St Joseph, avec l’abbé "sans cordes" (c'est ainsi que l’on appelait entre jeunes ce brave abbé Grebot qui avait les cordes vocales abimées, et que l’on comprenait mal). J'accompagnais alors Gaby. Il était un rituel auquel on ne pouvait échapper. A chaque fois après l'office, l'abbé Grebot débouchait une bouteille de soda pour les enfants de chœur et nous offrait les petits gâteaux secs. Incontournables petits gâteaux secs qui devaient bien avoir au moins deux ans et être le reliquat de plusieurs carêmes successifs ! Nous le savions, nous finissions par être habitués et Gaby nous décochait toujours un merveilleux sourire, en nous passant la boîte, après en avoir pris un. Il n'ignorait bien évidemment pas que nous ne les aimions pas. Lui-même n'en prenait jamais deux, mais cela faisait vraiment trop plaisir à ce brave abbé Grebot qui n'avait que cela à nous offrir.
Gaby Maire était un personnage. Il était attentif aux autres, bon-vivant et possédait un merveilleux sourire derrière ses lunettes légèrement fumées.
Pour lui, ceux qui faisaient ou pouvaient faire du mal, étaient des gens que nous devions aider car ils n'avaient pas la chance d'avoir appris et senti ou appris à sentir ce que pouvait apporter de faire du bien autour de soi.
En cela, l'abbé Maire était vraiment un disciple de Jésus Christ. C'était un homme de pardon et de tolérance. Pour donner une image plus proche de lui, je dirais que Gaby était un drôle d'apôtre qui ne faisait office d'intolérance que par rapport à l'injustice, aux inégalités qui le révoltaient.
Mais à cette intolérance bien légitime se substituaient son intelligence, son bon sens, sa générosité, son ingéniosité pour proposer des systèmes, équilibrer les choses ; mettre en place plus de justice. Gaby n'avait rien de ces révoltés passifs, fatalistes soumis. Ses démarches personnelles allaient plus dans le sens d'une action "pour" plutôt que dans le sens d'une réaction "contre".
L'abbé Maire a souvent été étiqueté politiquement car ses engagements ont vite pris une couleur politique. Â partir du moment où un homme s'engage, dénonce les aberrations d’un système qui opprime certains et profite à d'autres : il devient vite "un politique".
Proche des partis de gauche dans l'idéologie, il n'a cependant pas été, à ma connaissance affilié à une organisation politique. Il ne s'est pas caché d’en être sympathisant ; en ceci il dénotait du courant ecclésiastique du moment. Cette facette de sa personnalité lui valut de ne pas toujours être apprécié par les gens plus partisans d'une église traditionnelle ou par des gens opposés à lui politiquement car il leur donnait mauvaise conscience. Il lui était alors reproché de ne pas être "à sa place".
Pour ma part avec mon regard d'enfant, je n'ai jamais eu l'impression qu'il sortait du cadre de travail de-prêtre ni de son rôle. Aujourd'hui, "que je suis grand" je n'ai toujours pas cette impression.
Gaby Maire était un homme tellement guidé par des pulsions naturelles de charité et de générosité, qu'il fonçait, avec une énergie formidable, sur les patins à roulettes de ses convictions, vers des solutions plus justes et égalitaires. Il faisait partie de l'Association des « Citoyens du Monde » ce citoyen ?
On a l'impression que ces notions de justice et d'égalité des hommes étaient tellement ancrées" au plus profond de lui qu'il ne pouvait pas comprendre (et non supporter) que d'autres puissent en être dépourvus.
Gaby croyait en l'homme en tant que notion mais en tous les hommes pris individuellement. Pour lui l'homme naissait "bon" perverti parfois par des systèmes certes qu'il fallait changer, pour qu'il retrouve cette bonté fondamentale.
Utopiste ? Non, Plutôt : homme de cœur !
Car Gaby avait un cœur immense, généreux, il y avait de la place pour tout le monde. Un cœur si grand, si ouvert qu'on pouvait y entrer.
Malheureusement un cœur qu'on ne pouvait pas rater ! Il est mort d'une balle pour rien.
Une balle de violence qui l'a traversé, en a traversé d'autres avant lui, qui en traversera encore d'autres. Comme une balle folle perdue, celle qui semble-t-il rien ne peut arrêter !
Celle qui transperce les remparts de l'Amour. Celle qui détruit au lieu de bâtir.
Folle. Perdue tout autant que cet homme ; un de nos semblables, nous, parfois... ici, là-bas, avant, maintenant, après. Plus jamais... Toujours...
Tous ceux qui n'ont pas cette chance de savoir ou de croire que pourrait exister un monde meilleur de justice, de respect, de charité et d'amour.
Ce monde qu'il avait commencé à bâtir.
Pardonne-lui, pardonne-nous Gaby, nous ne savons parfois pas ce que nous faisons !
Et j'ai comme l'impression d'être sous ta dictée.
Pardonnés, nous le sommes. Excusables, nous ne le serons jamais !
Gaby Maire nous a laissé son empreinte d'homme sur la terre, au fond de ceux qui l’ont aimé. Comme un message de Dieu. Il existe encore en moi. Il fait encore partie de moi. En le cherchant c'est peut-être Dieu que je rencontre... à qui je mets un visage pour...
Thomas
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