Depuis de nombreuses années Henri Burin des Roziers, avocat, est un acteur incontournable de la lutte pour la terre destinée aux pauvres dans l'Etat du Para. Il vient de nous envoyer le texte qui suit, illustration de la situation sociale de cet Etat :
C'était ton rêve doré
Ton plus grand désir
Voir le peuple libéré
Pour un monde de justice
Où tous sont égaux
Où personne ne souffre plus
Du poids de l'oppression.
Un temps sans brimade
Tous rassasiés,
Amis se donnant la main.
Hommage d'Expédito assassiné en 1991 à João Canuto assassiné en 1985 - Para
Cet Etat du Para, au nord-est de l'Amazonie, est connu à la fois pour ses gros propriétaires terriens (fazendeiros) prêts à tout pour garder leurs privilèges et pour ses militants prêts à donner leur vie pour que cette terre soit répartie équitablement.
Expédito et João étaient de ces derniers et nombreux sont ceux qui tombent encore maintenant sous les balles des fazendeiros ou de leurs tueurs à gage. On se souvient de l'assassinat de Sr Dorothy en 2005.
Le Comité Rio Maria veut exercer une pression sur le gouvernement brésilien afin de l'amener à faire la lumière sur les crimes commis contre les leaders syndicaux paysans de cet Etat. C'est un groupe dont l'action s'inspire de la "non-violence agissante" et qui s'oppose aux grands propriétaires terriens par la seule pression sociale. (D'après "Frère Henri Burin des Roziers, avocat des sans-terre" de Bernadette Toneto (Cerf) p. 71 – Le poème ci-dessus était à la p. 57 de ce même livre.)
D'autres militants (membres de la Via Campesina, du Mouvement des sans terre, des organisations sociales, des juges, des procureurs ou parlementaires etc.) emploient la même méthode non-violente pour lutter contre le travail esclave. Sur la photo ci-contre, pour dénoncer ces atteintes à la dignité des hommes, femmes et même enfants, ils ont planté plus de cent soixante croix portant les noms des entreprises qui ont été prises en flagrant délit, retenant des travailleurs contre leur gré et sans les payer. (Photo Sakamoto 27 mai 2010– Reporter Brasil )
Le Veau d'Or
"Assistant à la Cavalcade de l'ouverture de la Foire aux bestiaux de Xinguara, le 18 septembre 2010, j'ai été impressionné par le caractère grandiose de l'événement, les innombrables chevaux costumés avec leurs cavaliers et amazones, les charrettes, les anciens véhicules tirés par des bœufs très puissants…jusqu'à une image de Notre Dame d'Aparecida, avec un présentateur professionnel en prière.
J'ai observé la prestation de plusieurs fazendas, notamment celles appartenant au "Groupe Quagliato".
En premier, le cortège de la Fazenda Rio Vermelho, très beau, avec un nombre important d'animaux et une banderole félicitant le peuple de Xinguara. A ce moment-là je me suis souvenu que, au sein de cette fazenda il y a 2 000 ha de terres publiques appartenant à l'Union Fédérale et que le Groupe Quagliato s'est indûment appropriés. Il m'est aussi revenu à la mémoire que cette propriété avait été déclarée cette année " improductive" par l'INCRA (Institut National de la "Colonisation" et de la Réforme Agraire) comme ne remplissant pas sa fonction sociale, étant donné l'existence de 11 000 ha non utilisés et déboisés illégalement, et contre laquelle de nombreuses dénonciations de travail esclave ont été déposées depuis 1980.
Ensuite ce fut le tour de la Fazenda Brasil Verde, spectacle également très joli, avec des animaux splendides, beaucoup de décorations et une banderole où on lisait : "Félicitations au Syndicat Rural". Cette fazenda a aussi été la cible de plusieurs dénonciations pour travail esclave, lesquelles ont même donné lieu à un procès criminel transmis maintenant à la Commission des Droits de l'homme de l'OEA (Organisation des Etats d'Amérique).
Peu après venaient la Fazenda Colorado et la Fazenda São Sébastião. Comment ne pas me souvenir que la fazenda Colorado aussi a été dénoncée pour sa pratique de travail esclave ? Et que, tout comme les fazendas Rio Vermelho et Brasil Verde elle figure maintenant sur la "Liste Noire" du Ministère du Travail ? Cette "Liste" énumère toutes les propriétés qui ont été prises en flagrant délit de mise en esclavage de travailleurs.
A la fin venait la Fazenda Santa Rosa avec un grand et beau cortège qui me fit me rappeler que, de même que la fazenda Rio Vermelho, cette année-ci, la fazenda Santa Rosa a été classée comme "improductive" par l'INCRA, étant donné qu'elle ne remplissait pas sa fonction sociale.
On remarquera que la pratique de "crimes contre l'environnement" a été constatée dans plusieurs propriétés du "Groupe Quagliato".
Face à cela, je me suis mis à réfléchir en me demandant quelle prière pourrait être faite à Notre Dame d'Aparecida. Le "Groupe Quagliato" est très riche, avec des propriétés dans les Etats du Para, de Goiàs et de São Paulo, mais, d'où vient cette richesse ? Cet enrichissement n'aurait-il pas été le résultat de la sueur et des larmes du peuple ? S'agit-il d'un enrichissement réellement juste ?
Que serait le sens de cette prière à Notre Dame ? Serait-ce que tous ces gros propriétaires, membres du Syndicat Rural, priaient pour que cet enrichissement injuste – selon l'Evangile – perdure ? Dans cette région, le bétail ne serait-il pas aussi devenu une idole comme le veau d'or du Livre de l'Exode (Ex, 32, 1-8) ?
(…) A Santana do Araguaia, on peut voir une grande sculpture de la Bible, devant laquelle, à quelques mètres, il y a une immense statue d'un bœuf. Que choisir : le veau d'or ou la parole de Dieu ? Le livre de l'Exode dit que le peuple de Dieu, dans son cheminement vers la Terre Promise, s'est révolté contre Dieu qui les avait libérés d'Egypte parce que Sa Loi – différente de la loi des hommes – était trop dure et pour cela ils en étaient venus à adorer le veau d'or. " (Ci-contre, sculpture du XVIIIème siècle avant Jésus-Christ – Byblos)
Le veau d'or ne serait-il pas devenu, dans cette région aussi, le dieu de beaucoup de gens ?
Xinguara (Para) le 27 sept. 2010
Fr. Henri B. des Roziers Avocat de la Commission Pastorale de la Terre
"On peut se demander, puisque ces justiciers sont si fous avec leurs envies de tuer, pourquoi n'exigent-ils pas aussi la peine de mort contre l'injustice sociale ? Est-il juste ce monde qui, à chaque minute, dépense trois millions de dollars pour les dépenses militaires, alors qu'à chaque minute, quinze enfants meurent de faim ou de maladies qui pourraient être soignées ? Contre qui la dénommée communauté internationale s'est-elle armée jusqu'aux dents ? Contre la pauvreté ou contre les pauvres ?"
Eduardo Galeano, écrivain uruguayen
Tiré des EV n°76
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